Prédication du 29 novembre 2020

 

Nous voici donc dans le temps de l’Avent, qui va nous conduire, tout au long de décembre, jusqu’à Noël. Décembre est le mois des nuits les plus longues, quand les jours raccourcissent inexorablement – comme en contrepoint, Noël est la fête de la lumière jaillissant du cœur de la nuit, depuis toujours : bien avant le christianisme, on fêtait déjà le solstice d’hiver, en célébrant la victoire de la lumière sur les ténèbres…

[Même l’Evangile d’aujourd’hui nous encourage à « veiller », à traverser la nuit, à espérer le jour qui vient… (Marc 13, 32-37)]

Le targum, c’àd le commentaire traditionnel juif de la Bible, distingue quatre « nuits de veille » du Seigneur : la nuit de la création, celle de la promesse faite à Abraham d’une descendance, la nuit de la libération d’Egypte, et celle de la venue du Messie…

 

Le mot « nuit » est un des premiers mots de la Bible !

 

Gn 1, 1-5

 

Au commencement Dieu créa le ciel et la terre.

La terre était sans forme et vide, et l’obscurité couvrait l’océan primitif.

Le souffle de Dieu se déplaçait à la surface de l’eau. 

Alors Dieu dit : « Que la lumière paraisse ! » et la lumière parut. 

Dieu constata que la lumière était une bonne chose, et il sépara la lumière de l’obscurité. 

Dieu nomma la lumière jour et l’obscurité nuit.

Le soir vint, puis le matin ; ce fut la première journée.

 

 

« Au commencement, Dieu crée les cieux et la terre. La terre était tohu-bohu (déserte, informe, et vide), la ténèbre à la surface de l’abîme, et le souffle de Dieu planait à la surface des eaux… »

Quelle puissance d’évocation dans ces quelques mots ! En deux ou trois phrases, le poète plante un décor – un décor plutôt sinistre : désert, vide, abîme, ténèbre… Rien, pas la plus petite trace de vie, ni la moindre lueur, rien qu’un silence effrayant et pesant, dans l’obscurité sans fond de la ténèbre et de l’abîme…

La terre était « tohu-bohu » – ce sont les mots hébreux… qui sont passés dans notre langue française à travers ce verset 2 du premier livre de la Genèse. Tohu-bohu, cela évoque aujourd’hui « le désordre, la confusion « … … en grec on dit « le chaos ». N’est-ce pas ce qui apparaît à nos yeux et à nos oreilles, quand nous regardons notre monde : un désordre confus ?

Heureusement le texte ne nous laisse pas longtemps patauger dans ce marécage originel et ténébreux ; très vite, il se passe quelque chose : « Dieu dit ».

Une autre façon possible de traduire ces premières phrases de la Genèse, c’est « le principe par lequel Dieu créa les cieux et la terre – alors que la terre était informe et vide, que les ténèbres étaient au-dessus de l’abîme et que le souffle de Dieu planait sur les eaux – c’est la (sa) Parole… »

Le principe par lequel Dieu crée, agit, c’est la parole… Une parole implique une écoute : on parle à quelque chose ou quelqu’un… et elle demande une réponse. Le chaos, le tohu-bohu entend la parole de Dieu, et y répond en produisant ce que Dieu appelle : Dieu crée en rendant créateur.

Dieu crée en séparant, en ordonnant, en mettant de l’ordre dans le chaos, en distinguant ce qui était indifférencié, en triant ce qui était mélangé : jour/nuit, eaux d’en bas/d’en haut, sec/mouillé… Dieu range, met de l’ordre, et crée ainsi un espace où la vie va pouvoir s’épanouir. Il met de l’harmonie là où était la cacophonie, il permet l’émergence de la diversité là où était l’indifférencié et la confusion, en séparant les éléments. Dieu fait ex-ister, au sens étymologique cela signifie « se tenir hors », en faisant surgir du chaos des éléments distincts et divers, et des êtres animés, vivants.

Et le moyen que Dieu utilise pour cela, c’est sa Parole : le texte ne dit pas « Dieu fait » mais « Dieu dit ».

La nuit de la création est pour les commentateurs juifs la « première nuit de veille du Seigneur ». J’aime que la Bible me rappelle que, même là, dans le tohu-bohu, dans la ténèbre, le désordre et la confusion, Dieu est présent : « le souffle de Dieu planait sur les eaux ». Et que c’est à partir de ce chaos, de ce désordre, que Dieu va pouvoir appeler tout un monde à la vie.

Nous connaissons bien la nuit. Nous connaissons bien l’angoisse devant la marée montante des ténèbres, cette impression que tout nous échappe, et cette année nous le ressentons plus fortement encore, ce confinement nous a fait entrer dans un tunnel dont nous avons du mal à entrevoir la sortie…

Notre cœur lui-même est parfois « tohu-bohu »… « solitude et chaos »…

Il y a bien sûr la dépression hivernale, quand les jours raccourcissent et que la luminosité baisse. Mais la symbolique de la nuit recouvre des réalités qui ne sont pas toujours liées à la saison ! Ou autrement dit, la réalité saisonnière ne fait qu’amplifier, matérialiser, quelque chose que nous pouvons ressentir en-dehors de toute contingence extérieure. Il peut faire un grand soleil au-dehors, cela n’empêche pas de ressentir l’étreinte pesante de l’obscurité intérieure, quand nous regardons la marche de notre monde, quand nous nous lassons de chercher quelque trace de lumière dans le déroulement des jours, dans la litanie implacable des mauvaises nouvelles…

Ce temps de l’Avent qui commence, et plus particulièrement cette année, est une invitation non seulement à « préparer Noël », mais surtout à réfléchir à ce que nous attendons de cette fête, à ce que nous célébrons quand nous fêtons Noël. Dans la confusion, l’incertitude, la précarité qui sont les nôtres, quel sens Noël a-t-il pour nous ?

Cette première nuit de veille du Seigneur, nuit où la lumière naît du profond de l’abîme, du cœur de l’obscur, nous redit que Dieu veille, à nos côtés, pour traverser l’obscurité avec nous.

Elle affirme que Dieu lutte, avec nous, contre les menaces du chaos, contre tout ce qui défigure et déséquilibre sa création. Contre les forces de haine et de division. Contre la solitude et la peur.

Elle nous rappelle aussi que l’arme de Dieu, dans cette lutte, c’est sa parole : une parole qui se dit à chacun de nous, une parole qui nous adresse une vocation, une parole qui attend que nous la recevions, et que nous lui répondions…

« Aujourd’hui, comme il l’a fait autrefois, et comme il le fera dans l’avenir, Dieu œuvre pour une nouvelle création et nous invite à devenir de nouvelles créatures. Constamment il fait « toutes choses nouvelles » … A chaque instant, la parole divine fait surgir de l’inédit dans notre vie et dans le monde. » (A. Gounelle)

Que cette espérance nous anime et nous éclaire, pendant ce temps de l’Avent ! Qu’elle nous aide à veiller, pour donner l’alerte, quand la dignité humaine est mise à mal, et pour montrer le chemin de la fraternité. Que nous soyons à l’écoute de la parole du Seigneur, pour être avec lui témoins de la lumière.

amen

 

 

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